Alors qu’il observait les volutes de fumée monter lentement vers le plafond, aspirés par une petite trappe installée dans le coin spécialement pour évacuer ce genre de désagréments olfactifs, avant de remarquer que son ancienne élève semblait troublée, apportant un verre vide à ses lèvres. Passionnée par la discussion et perturbée par la logique extrêmement impersonnelle et froide qu’il arborait ou autre chose? Il l’ignorait, s’en moquait peut-être un peu dans le fond. Il appréciait qu’une élève assidue cherche à renouer le contact, mais elle était venue lui demander son opinion et elle l’avait eue. Froide. Brute. Mécanique presque. Une réflexion qui s’appuyait sur la logique et l’ordre établi et rejetait tout concept de compassion ou de sentiment. Si plus de gens pensaient comme lui, le monde tournerait probablement de bien meilleure façon, mais serait-il vraiment meilleur? Il le pensait, mais ne le prétendait pas. Après tout, voir le futur n’était pas dans ses cordes. Il n’avait même jamais entendu parler d’une personne capable de le faire de manière conclusive.

“ Si cela peut vous rassurer Miss Sharon, les barrières ne sont pas absolues. Aussi peu scientifique que cela soit, la volonté humaine a également une part importante à jouer dans l’affaire. Un héros qui se met à dériver et devenir extrême ou simplement mauvais le fera avec ou sans barrière, et inversement, un vigilant qui se fixe sur son chemin y restera, même sans personne pour le surveiller. Rien n'est fixé.”

Peu scientifique, mais ironiquement logique. Les valeurs d’un individu se reflètent sur ses actes, et par conséquent, sa volonté est seul capitaine à la barre. Une volonté faible verra rapidement ses intentions changer là où un esprit fort refusera de plier.

“ Bien sûr, allez y, je suis là pour ça.”

Les dernières questions posées par son ancienne élève étaient… discutables, au mieux. Peu subtiles également. Au moins, l’allemand ne pouvait dire qu’il ne comprenait pas ce soudain intérêt pour le milieu vigilant et les questions très orientées de sa comparse désormais. Était-elle déjà passé à l’acte ou l'envisageait-elle seulement pour le moment? Tirant sur le cigare, il se contenta de regarder la jeune femme dans les yeux quelques instants, comme cherchant à y arracher la réponse à sa question, évidemment sans succès. Il ferma les yeux avant d’expirer doucement, cherchant ses mots. Devait-il vraiment l’encourager dans cette voie? Non, ce n’était pas sa question. Elle n’était plus son élève et il n’avait aucun droit de l’influencer.

“ Le nom d’Hyperion vous dit il quelque chose mademoiselle? Probablement pas, il était actif quand j’étais moi même un super. C’était un jeune homme un peu plus âgé que moi, capable de générer de l’énergie pour s’augmenter physiquement. Un petit vilain en soi. Pas un mauvais bougre, mais c’était mon devoir de l’arrêter. Si vous vous posez la question, il appartenait à la seconde catégorie, il avait juste été poussé dans le milieu par les circonstances. J’ai passé huit ans à lui courir après. De ma première intervention à ma dernière.

Des fois je l’arrêtais, des fois il parvenait à s’échapper avec son butin. Au final, il a pris sa retraite à peu près en même temps que moi. Vous voulez savoir ce qu’il est devenu?

Mon beau-frère. Il courtisait ma soeur depuis des années sans que ni lui ni moi ne s’en soit rendu compte jusqu’au jour du mariage, qui a été plutôt tendu, sans surprise. Aujourd’hui, c’est l’un de mes meilleurs amis. Une personne de confiance et dont je suis honoré de dire qu’il fait partie de ma famille.

Donc non miss Sharon, je ne le dénoncerais pas. En revanche, je surveillerais de très près ses actes. Ne pas empêcher la dérive d’un, ou d’une, vigilant ou la reprise des activités criminelles d’un proche serait ma responsabilité, et je m’assurerais que cela ne se reproduise plus. Quitte à devoir rendre justice moi-même, comme un vigilant le ferait.

Cela répond- t- il à votre question miss Sharon?”

“ Parfait.”

Les commissures des lèvres de l’allemand étaient remontées, satisfait. Il y avait peu de choses plus valorisantes que d’entendre un élève affirmer qu’on avait répondu à toutes ses questions. C’était la marque d’un travail bien fait et la preuve que l’étudiant cogiterait probablement un bon moment pour arriver à ses propres conclusions. Il ne s’agissait pas de leur donner sa solution, mais de les amener à se diriger vers la leur. Une vérité universelle, principalement dans des domaines éthiques et philosophiques, n’existait pas, n’en déplaise à certains.

Sa vis-à-vis commença à se lever en s’excusant alors de l’heure, en effet fort avancée. Elle le remercia également, ce à quoi l’enseignant se contenta de répondre d’un “C’est tout naturel”, avant une remarque étonnante. Elle ne le connaissait pas aussi bien que ce qu’elle pensait? N’était-ce pas évident? La tasse dans une main et le cigare dans une autre, le blond regarda son élève, visiblement décidée à s’engager sur un chemin escarpé, avant de lui rappeler une dernière chose.

“ J’ai été votre enseignant Miss Sharon, pas votre ami. Il me paraît évident que vous n’avez vu qu’une partie de ma vie. Comme tout un chacun, j’ai mes secrets, et vous savez ce qu’on dit.

On ne connaît jamais quelqu’un qu’à l’aune de ce qu’il veut bien montrer. Mais si cela peut vous rassurer, non, il ne s’agit pas de mon environnement habituel, et je pense bien ne pas avoir mis les pieds dans une boite de nuit depuis au moins dix à quinze ans, si ce n’est plus. J’ai mes habitudes disons, et les discothèques n’y figurent pas.

Sur ce, passez une bonne soirée Miss Sharon, et ne vous mettez pas en danger. Votre vie vaut plus que celle d’un inconnu, quoi que vous en pensiez.”

C’était à elle de voir comment elle interpréterait ces mots, ou si elle se rappellerait des premiers cours qu’il donnait. Toutes les vies étaient égales, mais le premier travail d’un héros, c’était de rester en vie. Un héros mort n’aide personne et ne sauve personne. Voyant la jeune femme aller déposer son verre sur le comptoir, il fît de même, réglant sa note avant de sortir. Un jeudi soir, les cours le lendemain seraient probablement difficiles pour les élèves. A croire que les fêtes du jeudi soir étaient une tradition qui perdurait à travers les générations…