“Bon, je vais la faire courte.”

Ma voix est froide, autoritaire, sans appel. Le pauvre type dont je tiens la tête contre une poubelle, dans une des nombreuses ruelles louches des bidonvilles, devrait rapidement comprendre qu’il ne vaut mieux pas énerver la dame encapuchonnée.

“Dis-moi où est le dealer et j’te laisse éventuellement partir.”
-A-a-a-aattendez, je-” le jeune type commence à bégayer, mais la pression croissante que subit sa tête, entre mon gant de cuir et le conteneur en métal, lui fait comprendre qu’il est préférable pour lui de la faire courte et concis.
“Là, là ! Dans le squat, juste à côté ! Laissez-moi partir, j’ai rien fait j’vous jure !”

Sans un mot, le guetteur se fait jeter comme un déchet au sol et je me dirige vers le lieu indiqué…en espérant pour lui que ce soit le bon.

L’avantage de travailler dans un endroit comme l’Eden, c’est qu’on entend tout un tas de rumeurs diverses sur ce qu’il se passe dans les rues, et que la plupart sont au moins en partie vraies. Ce qui est bien pratique pour une jeune vigilante en recherche de petits malfrats à neutraliser, et c’est donc comme ça que j’ai entendu parler de ce deal de drogue local.
Ouais, j’me doute bien qu’il y en a des centaines comme ça à Tokyo et qu’en coupant une tête dix vont repousser, mais c’est idéal pour reprendre la main…et peut-être que je tomberais sur un autre vigilant, comme ça?

Quoi qu’il en soit, l’intervention dans le squat est…courte. La porte rouillée et partiellement tordue du bâtiment abandonné s’ouvre d’un seul coup de pied, révélant trois gars qui ne s’attendaient certainement pas à voir quelqu’un débarquer comme ça - après tout, leur guetteur aurait dû être là pour les avertir.

Le plus baraqué des trois se jette sur moi avec une batte de baseball maladroitement maniée, laissant une ouverture tellement grande qu’il me suffit de me baisser pour esquiver son coup, avant de lui envoyer un direct du droit dans son foie. De quoi le coucher pour quelques minutes.

En me voyant approcher, le chétif du trio tombe par terre en levant les mains, paniqué: “J’ai rien acheté ! J’ai rien acheté !”, un client donc. S’pas le plus urgent, il faut que je chope le troisième -le vendeur- mais il a dispa-
Quelque chose entre en contact avec mon dos. Ni une ni deux, je me retourne et balance mon coude droit dans le nez du gars que je cherchais, ce petit fumier qui s’était faufilé derrière moi est maintenant au sol, le visage couvert de son propre sang.

Je me tourne alors vers le dernier encore conscient, pour lui indiquer la sortie: “Casse-toi, t’as pas besoin de cette merde.”
Il n’y a pas besoin de lui dire deux fois.

Il ne me reste plus qu’à prévenir la police avec mon téléphone jetable avant de casser ce dernier en deux, et ressortir du bâtiment dans les rues qui commencent à s’assombrir dû au soleil couchant.
Bon…avec du bol je serais même pas en retard au boulot.

Des craquements malsains émanent d'une ruelle, le tout accompagné de respirations paniquées et saccadées. Finalement, les sons s'estompent, laissant un homme maladroitement fuir dans la panique, renversant diverses ordures et manquant de se casser la gueule dans l'opération. Et derrière lui émerge une silhouette : une frêle jeune femme arquée en avant, dont les longs cheveux noirs désorganisés cachaient la moitié du visage, le tout contrastant avec sa longue robe blanche.

Elle avait les informations dont elle avait besoin.

Il s'agissait là de November. Elle demeurait assez nouvelle dans le groupe The Elements Network, avec un an d'ancienneté. Elle était donc rarement envoyée dans des missions solos et si c'était le cas, uniquement des petits poissons pour éviter de lui faire prendre trop de risques. Elle agissait clairement davantage comme un support que comme une force brute, ça n'aidait pas à l'envoyer combattre seule. Mais au moins, elle était assez forte pour choper des informations par l'intimidation.

Cette fois, la rumeur était arrivée aux oreilles de son patron que des petites frappes tenaient un trafic de drogue non loin. Et le pauvre bougre qui avait fui la ruelle n'avait concrètement servi qu'à établir où se trouvait le squat.

Eva s'y rendit donc au plus vite mais alors qu'elle s'apprêtait à entrer, elle aperçut quelqu'un d'autre pénétrer les lieux : un individu encapuchonné. Bon, dans ce genre de cas, elle préférait jouer la sécurité et partir en repérage vu qu'il pouvait s'agir d'un dealer comme d'un client.
Par conséquent, la goule n'entra pas de suite, elle préféra se plier les membres à la manière d'une araignée et escalader les diverses parois du bâtiment pour observer à l'intérieur par les divers interstices afin de voir comment la situation allait se dérouler.

Mais à sa grande surprise, l'encapuchonnée était entrée d'un énorme coup de pied et avait commencé à allègrement castagner le groupe de malfrats. Et ça ne dura pas bien longtemps : cette personne était entraînée professionnellement. Les criminels avaient été envoyés au sol avec une facilité déconcertante.
C'est en intimant à un client de quitter les lieux que la justicière se révéla être une femme et quitta les lieux, appelant notamment la police.

Cependant, pendant son appel, le plus costaud du groupe s'était relevé. Il avait pris un sale coup mais s'en était visiblement remis.
L'onryô descendit alors des ténèbres, allongeant ses bras dans plusieurs articulations. sortant du bâtiment et agrippant, enroulant même le dealer de toute part et le tirant de force dans les ténèbres.

-H H H H H H H H...

Le souffle glacé de la goule caressait le cou de sa victime alors que ses bras s'enroulaient autour de ce dernier... serrant, plus fort... plus longtemps jusqu'à ce qu'il ne finisse par tomber dans les pommes.
Elle lâcha lourdement l'individu au sol alors qu'elle ressortait et que les nombreuses articulations qu'elle s'était rajoutées se résorbaient dans des craquements toujours plus malsains.

Et une fois face à la justicière, elle leva simplement les bras.

-Salutations, votre fantômette favorite vient en paix. Annonça-t-elle d'une voix rauque contrastant énormément avec son ton plus enjoué.

Quand le type que j’étais supposée avoir neutralisé se fait hisser vers le plafond, on va dire que je suis un peu…surprise. Mais, prête à tout, je reste stoïque jusqu’à le voir lourdement retomber au sol, suivi de sa mystérieuse mais moins lourde assaillante. Est-elle une héroïne officielle? Elle ne me dit rien, et pourtant je m’efforce de suivre les médias ces derniers temps...histoire d’être au courant de ce qu’il se passe. Des affaires intéressantes, des rumeurs…J’imagine ça comme plutôt important dans le vigilantisme, genre pour savoir le plus tôt possible si on a été discret ou pas.

Quoi qu’il en soit, je détourne un peu la tête et m’assure que ma capuche est bien en place, qui qu’elle soit vaut mieux que je ne sois pas trop identifiable. Certes, à l’ère de l’information tout ce qui a plus d’une semaine est déjà dépassé et mon histoire remonte à bien plus longtemps que ça, mais on sait jamais.

“Heureusement que vos craquement bizarres font du bruit, je crois que j’vous aurais frappée par réflexe sinon. Sympa comme entrée.”

Tout en parlant, je m’approche du corps inerte de la brute, sans pour autant tourner le dos à la nouvelle arrivante au cas où ses intentions ne seraient pas aussi pacifiques qu’elle le prétend. M’accroupissant le temps de prendre son pouls, je me redresse ensuite et accorde pleinement mon attention à la “fantômette”.

“Bon, vous l’avez pas tué donc on va dire que j’crois au côté ‘je viens en paix’. Qui êtes-vous et qu’est ce que vous voulez? Vous me dîtes rien et j’me demande si vous avez vraiment la licence pour cet alter.”

Certes c’est un peu plus compliqué que ça, et au final ça m'importe peu, mais autant savoir rapidement à qui j’ai affaire.

Ah que de violence ! Pourtant cette femme semblait bien être une professionnelle ! Une professionnelle ne frappait qu'après s'être assurée de la menace ! Mais bon, si Eva était quelque chose dans le milieu héroïque, c'était difficile à toucher donc elle ne s'en faisait pas pour les excès de violence potentiels de la justicière à la capuche. Elle demeurait ravie que l'on prenne en compte son entrée, elle qui avait tant travaillé son image de marque à Yuei !

-Aaaaah, je vous remercie ! Je me suis inspirée de Ju-on cette fois-ci !

Cela dit, c'était avec raison que l'encapuchonnée tenait à vérifier l'état du corps, laissant November sans bouger le temps de s'assurer que le criminel était toujours vivant.

-Ne vous en faites pas, le meurtre ne fait pas partie de ma doctrine. ~

Quant à la raison de sa présence ici ? Oh, elle était dans la même idée que son interlocutrice. Mais désormais, sa curiosité était piquée. Après tout, cette femme avait l'air de savoir s'y prendre et au vu de son accoutrement, ce n'était pas le genre de héros officiel qui allait gentiment poser dans des magazines pour vendre le dernier shampooing à la mode. Un peu comme la goule en somme !

-Oh eh bien vraisemblablement la même chose que vous ! Nous avons par ailleurs probablement eu l'information de par la même source, cristalline si je puis me permettre ! Vous m'avez nonobstant prise de court... Elle poursuivit en posant l'index sur ses lèvres. On m'appelle November et, tout comme vous, je ne suis pas ce que l'on pourrait qualifier de justicière officielle. ~

A travers l'épais rideau de cheveux, l'on pouvait distinguer un clin d'oeil.

Ju-on…une fan de films d’horreur? S’inspirer de la culture pop c’est loin d’être bête j’imagine, mais de qui je pourrais me rapprocher? Avec un alter aussi peu théâtral, plutôt de personnages sans pouvoirs je suppose...des flics ou des justiciers dont la violence est le meilleur atout, voire le seul?
Mouais.

L’occasion que je cherchais est arrivée plus vite que prévu, du coup. La fantômette a bien l’air d’être une justicière non-officielle comme elle le prétend, alors c’est exactement la personne qu’il me fallait pour en apprendre plus sur ce milieu très nouveau pour moi.

“Yep’, on est dans le même camp alors. Je suis…”

…Hum. Merde, j’ai pas pris le temps de réfléchir à un alias. Après tout, “Lilith” est censée avoir pris sa retraite, et ce pseudo est connu du public. Rattaché à mon identité et mon passé…Il faudra trouver autre chose, si cette tentative mène vraiment à une nouvelle vie.

“...En fait j’ai pas encore d’alias, donc personne. Ça tombe bien qu’on soit tombée sur la même affaire, je voulais justement parler à quelqu’un comme vous depuis quelques temps, et vous avez l’air de connaître le sujet.”

Puis mon regard se porte sur le téléphone détruit, au sol:

“Mais d’abord, on devrait s’éloigner un peu. Ce serait quand même con de tomber nez à nez avec la police, avec deux types à nos pieds et très peu d’excuses pour nous de se tenir là. Vous connaissez un endroit sûr par ici? Ce n’est pas…vraiment un quartier dans lequel je me balade souvent.”

Yep’, les bidonvilles, c’est pas le coin favoris des héros ou ex-héros -sauf ceux qui ont mal tourné, éventuellement-. Ni pour toute forme d’autorité en fait, alors je suis même pas sûre que mon appel donne quelque chose. Mais bon, j’étais surtout là pour donner une leçon…et rencontrer quelqu’un du “métier”, ce qui est chose faite.

Il s'agissait donc d'une petite nouvelle dans le milieu e la vigilance ! Du vigilantage ! De la vigilitude ! Du vigilantisme ! Voilà bien l'une des rares fois où Eva se retrouvait en situation de dame expérimentée... Si l'on oubliait son recrutement de Moe bien entendu. Mais clairement, la goule était loin de pouvoir donner des conseils dits "conventionnels", en ce sens qu'elle faisait partie d'une organisation contrairement à quelqu'un comme la cagoulette qui semblait agir en solo.

-Aaaah, connaître le sujet est un bien grand mot, il n'y a point de vérité universelle dans le vigilantisme. Je ne suis qu'une facette parmi tant d'autres. ~

Mais en effet, l'idéal était de filer. La police allait arriver mais alors un endroit tranquille... Certainement, November aurait pu l'emmener au Devil's Nest mais le plus cet endroit était discret et non-associé aux Vigilants, le mieux. Et il valait mieux éviter tout endroit qui permettrait d'être retracée dans tous les cas.

-Hmmmm dans les entourages, je ne vois que les toits. Avez vous des notions d'escalade ?

Dans des craquements, le corps de la fantômette se contorsionna pour reprendre sa posture arachnéenne avant de se diriger vers le bâtiment d'en fasse, l'escaladant en s'accrochant aux diverses gouttières et autres points.
Et si jamais la cagoulette ne pouvait pas faire de même, elle allongea ses bras pour que cette dernière puisse si agripper et les monter comme une corde.

Une fois la petite opération terminée, elle reprit sa posture humanoïde et s'étira quelque peu.

-Alors dites-moi donc, que souhaitez-vous savoir au sujet de l'humble Vigilante que je suis ? ~