- Les choses ne sont jamais simples, je le sais bien ne t'en fais pas. Mais s'attendre à une résolution négative n'aidera en rien...

La jeune fille haussa les épaules, résolue.

- Mais ce dont je suis sûre, c'est qu'il n'y a pas de meilleur moment pour aller la voir. Ca demandera beaucoup de courage, mais je pense que tu peux le faire. Après tout, tu m'as l'air brave et déterminée ! ~

Non. Pas seule, pas maintenant. C’est comme si… Après tout ce temps, il était trop tard. Qu’est-ce qu’elle pourrait bien lui dire ? Elle n’avait pas l’envie ou la force de trouver une excuse à tout ce temps d’attente alors que sa mère était enfermée. Et qu’elle ne devait faire que ça – attendre. Eva lui prête des capacités qui semblent vraiment la dépasser. Pourtant elle continue avec tendresse à lui diffuser des petits morceaux d’attention.

- Mais tu sais, ce n'est pas grave d'avoir peur. Parfois, l'on peut être aussi brave et déterminée que l'on veut, certains murs sont trop abrupts. Alors si tu n'y arrives pas, saches que personne ne peut t'en vouloir pour ça.

Anjali commence à respirer plus tranquillement. Les derniers mots l’a font presque sourire. Personne ne peut lui en vouloir… Peut être. De toute façon elle est celle qui lui a fait le plus de reproche. Dans ses cours, on lui a apprit à lutter contre pleins d’ennemis de toutes sortes. Mais pas contre elle-même. Elle se tamponne les yeux pour effacer les derniers traces de ses larmes.

-Mais vu que tu m'as raconté un secret... Tu mérites que je te dise le mien, non ? ~

Ses yeux s’agrandirent sous l’effet de la surprise. Elle ne dit rien et se tient sagement pour écouter les paroles de sa bienfaitrice.

- Je suis née en 1931 et je suis morte en 1950. Je n'ai su quel était mon alter que quand ce dernier m'a réveillée, il y a trois ans.

En 1931… Il y a 91 ans ? Presque un siècle. Elle reste coite.

- Je suis une fantômette plutôt bien préservée n'est-il pas ? ~

Une fantômette… Elle n’a pas l’air si blême pourtant se dit naïvement Anjali. Elle est nait il y a 91 ans… La jeune étudiante c’était parfois imaginé ce que s’aurait était de naitre à l’époque de ses grands-parents. D’autant plus que ces derniers racontaient des histoires à elle et sa petite sœur, parfois sur leurs enfances.

Est-ce pour cela qu’Eva semble avoir conservé une simplicité et une douceur juvénile ? Pourtant elle ne doit pas être la dernière à avoir subit des évènements compliqués… Le début du vingtième siècle n’a pas était une période tendre d’après les livres d’histoires. Anjali cligne des yeux nerveusement quand elle se rend compte qu’elle a laissé un blanc suivre ses paroles. Ses joues rosissent et elle bredouille.

- Eh… oui ! Vous… vous allez bien ?

Elle est réveillée depuis trois ans. Elle dû prendre le temps de s’en remettre. Mais pour Anjali la nouvelle est toute fraiche.

- Je veux dire… Merci de me l’avoir raconté. Vous voulez m’en parler ?

Est-ce qu’elle va lui rappeler de mauvais souvenirs ? Anjali n’a pas envie de la gêner ni de se montrer trop curieuse. Une pensée lui vient soudain. Oui, voilà un sujet plus doux.

- Mon grand père m’a beaucoup parlé du Japon de son enfance. Pour lui, beaucoup de très beau paysage ont disparus. Et il voyait beaucoup plus d’animaux sauvages un peu partout. Moi je n’ai pas beaucoup quitté la Tokyo alors j’ai déjà du mal à imaginer une vie  à la campagne…

Elle affiche un mince sourire en haussant les épaules comme pour s’excuser.

Si elle allait bien, en voilà une question qui fit pouffer Eva quelque peu. C'était assez relatif après tout, si Anjali avait posé la question à la November de deux ans plus tôt, elle aurait sûrement dû subir un vidage de sac, de tristesse, de rage, de frustration, de regrets et d'idées noires. Mais voilà, la goule n'en était plus là. Désormais, elle cachait tout ça, même à elle-même, elle faisait comme si ça n'existait pas.
Mais la question se fit plus précise. Voulait-elle en parler ? Et la réponse était tout aussi particulière... Elle continuait simplement d'éplucher son fruit, les yeux suffisamment bas pour donner l'impression qu'ils étaient fermés.

-Il n'y a pas grand chose à en dire pour être franche. C'est ainsi que les choses sont et j'ai dû m'y faire.

La fantômette revoyait exactement de quels paysages de grand-père de l'adolescente parlait. Des paysages qu'elle avait essayé de retrouver en retournant à la campagne, mais même eux avaient été teinté de civilisation moderne.

-Mhm, ton grand-père a raison. Quand j'étais petite, nous n'avions que peu de jouets et la technologie n'existait pas. Alors nous nous trouvions de quoi nous divertir ailleurs. Et parfois le divertissement venait de l'ennui. Nous aimions énormément faire des pique-niques en forêt, dans des lacs. Désormais, depuis ces endroits, on entend le son des voitures, on ne se pose plus.

Elle posa les morceaux de pomme sur le mouchoir.

-Le calme des champs, des forêts... C'est une sensation unique, alors Père nous emmenait et lorsque nous avions fini de manger, nous dormions avec lui au Soleil...

Elle tourna son regard vers Anjali avec un air quelque peu détaché.

-Quand je suis revenue, que je suis arrivée à Tokyo... J'ai vu ces immenses gratte-ciels, le bruit constant, les lumières... Je me suis évanouie. Et avec le temps j'ai réalisé que les gens ont oublié l'ennui, ils ont oublié de se poser, de profiter du silence et des gens autour d'eux...

Mais sa vie n'avait pas été toute rose, même à l'époque.

-Haha, on me croirait presque trop attachée au passé mais crois-moi... Ce fût difficile. Certaines catastrophes paraissent lointaines pour vous... Pour moi, ce n'était qu'il y a huit ans. La mort également était bien plus omniprésente. Pour certains villages, la population se perdait durant l'hiver et d'un coup d'un seul, nous n'avions plus de nouvelles. Holala les séismes également, j'en fais encore des cauchemars !

Bien sûr, les catastrophes d'Hiroshima et Nagazaki lui revenaient en tête. Elle n'avait que 14 ans lorsqu'elle avait appris que deux immenses villes avaient été totalement rasées. Les tremblements de terre destructeurs car les villes n'étaient pas encore équipées de bâtiments prévus pour prédire ce genre de problème...

-Je dois dire que malgré les Vilains, cette époque est... rassurante en un sens. Les infrastructures permettent de se sentir en sécurité et les hôpitaux sont absurdement efficaces.

Enfin, comme toutes les époques, des bons et des mauvais côtés. Mais Eva venait de réaliser combien elle avait parlé. Elle posa la main sur la joue de stupeur.

-Oh par tous les dieux, excuse-moi ! Je me suis lancée et n'ai pas su m'arrêter !

C'est alors qu'une sonnerie retentit dans la poche d'Eva. C'était bien sûr son téléphone. Elle fit un geste de la main pour s'excuser auprès d'Anjali avant de décrocher.

-Mhm... Oui... Tout de suite ? Pas cette nuit ? Bon... très bien. Oui... Oui... J'arrive.

C'était Atsushi qui avait une mission à faire rapidement et en l'état, November était la seule disponible. Elle devrait donc prendre congé. Elle rangea ses petites affaires, laissant une pomme proprement découpée à la patiente. Elle sortit un petit bout de papier avant d'y noter son numéro de téléphone et de le poser à côté du fruit.

-Je vais devoir m'en aller, j'ai une urgence. Je te laisse mon numéro de téléphone si tu ressens le besoin de parler de nouveau. Elle se leva, caressa la tête d'Anjali une dernière fois avant de se diriger vers la porte. A bientôt, rétablis-toi bien. ~