« Bonjour darling, honey, babygirl, soleil de mes jours et de mes nuits-- »

Ah, quoi de mieux que d’entendre ce ton suave et faussement rassurant de la part de son collocataire foireux, juste avant de sortir du travail. Passé la décharge de cringe et d’écœurement que ses mots ont provoqué dans tout mon corps, je grimace et lui répond de la moins aimable des façons :

« Qu’est-ce que t’as encore fait ? »
« Oooooh, bebou, tu es de mauvais poil ? »

Akiya se met à rire nerveusement à l’autre bout de la ligne. Son « bébou », c’est pour me tuer. Je lui démarrerais sa mémé s’il en avait une. Je sais qu’il a encore fait une connerie embarrassante qui doit me concerner et qu’il ne peut pas régler par lui-même… et pour que mon colloc admette qu’il a fait des bêtises, alors c’est que ça doit être grave. Je sens mes organes descendre dans mes chaussettes en commençant à me douter de ce qui le ferait agir ainsi.

« C’bon, c’rien de grave… peut-être, simplement… que je suis allé promener les chiens et que… j’ai un peut-être un peu changé l’itinéraire habituel et on est mal tombés. Genre… sur une bagarre, t’vois. »

Je le savais. Je suis déjà en chemin en costume tout en fulminant. Je lui ai dit des dizaines de fois que si on a établi des itinéraires qui ne passent pas par des zones à risque potentielles pour la promenades de mes bébés canidés, c’est pas pour faire joli. Tout ça, c’est bien parce que je tiens plus à mes chiens qu’à mon travail et à ma propre vie (et parce que je suis autiste et j’adore faire des plans et des itinéraires sur google maps, accessoirement, avec des stats sur le terrain et les risques météo aussi enfin bref). Akiya continue à brasser de l’air pour me raconter ses déboires, ce qui n’est guère pour me mettre plus à l’aise.

« BON TU ACCOUCHES ?! »

Je n’aurais pas dû crier mais l’autre andouille pousse ma patience à bout.

« OH M’ENGUEULES PAS COMME UN CONNARD… EUH… CONNARD ! »

Je soupire longuement. Mon colloc finit par m’expliquer qu’une grosse bagarre de type villains contre héros (ou vigilants il sait pas il connait pas leur face « à tous ces connards »), qu’Astro a réussi à échapper à sa laisse et est partie en courant. Elle était terrifiée et s’est planqué dans un building désaffecté, après avoir traversé la scène. Le hic, c’est que le périmètre était interdit aux civils donc Akiya n’a pas pu aller chercher Astro. Les choses auraient pu bien se terminer, car les criminels se sont rapidement repliés… non sans mettre le feu au vieux building dans lequel ma chienne s’est engouffrée.

Ah. Mon sang s’est glacé. C’est donc ça, la peur, la vraie ? Ça faisait longtemps. Je me rappelle maintenant pourquoi je déteste ressentir des choses. L’idée qu’Astro puisse être blessée voire pire me retourne l’estomac. Je dois me dépêcher. Mes collègues auront certainement l’air surpris que je vienne spontanément aider à sauver quelques civils des flammes. Quel barbe. Je devrais changer de métier. Mais la sécurité de mon chien est plus importante qu’un vague inconfort dû à ma vocation douteuse. Je pense sentir que même s’il prétend prendre la chose à la légère, mon collocataire s’en veut un peu. Mais, dans l’absolu, je m’en fous, je suis simplement angoissé.

Heureusement, le lieu concerné par l’incendie n’était pas loin. Ce n’est pas très difficile de trouver les moyens de se déplacer rapidement quand on a un statut comme le mien, fort heureusement. Une fois sur les lieux, j’envoie un message à Akiya pour lui dire de rentrer et ramener Al’ à la maison en attendant. Maintenant, je me renseigne sur la situation auprès de quelques collègues et vais prêter main forte pour l’évacuation, en attendant que des secours plus sûrs arrivent. En raison de mon alter, ma tenue résiste plutôt bien aux fortes températures et je pourrais utiliser mes pouvoirs pour altérer les vents et évacuer une partie de la fumée, ce qui facilitera l’intervention et l’évacuation. Evidemment, l’infrastructure est vieille et les fonctions anti-incendie ne se sont pas bien déclenchées. Probablement que les criminels l’avaient saboté en prévision.

En montant dans les étages, je continue de repousser la fumée vers les ouvertures et atténue les flammes en réduisant la puissance du vent. Je garde un œil attentif, surtout autour des débris, je guète la trace d’Astro, mais ne la vois nulle part. Je presse les civils de suivre le chemin de la sortie, sans oublier de leur demander s’ils ont vu un chien. Je crois qu’ils sont un peu trop traumatisés pour me répondre. Rooh. S’ils savaient que tout héros que je suis, je n’hésiterais pas une minute si je dois choisir entre mon chien et eux. Hélas, j’ai beau l’appeler, je ne la vois ne l’entend. De plus, même si les personnes parviennent à évacuer, les trombes de fumée deviennent toujours plus compactes. Malgré son odorat, c’est certain que la pauvre Astro ne peut pas s’en servir ici. J’ai un mauvais pressentiment et si j’ai d’ordinaire un très bon contrôle de mes émotions, l’anxiété commence à me rendre très difficile de penser droit. Je ne sais pas comment je vais m’y prendre pour retrouver Astro si elle est bien dans ce building, et assumer mon rôle tout à la fois. J’aurais pas du venir et j’aurais du laisser d’autres personnes faire leur travail, attendre comme un bon élève que ce soit terminé. A la place, voilà que je me suis arrêté au milieu du chemin et que je phase comme un gros débile. Bah oui. Je suis un peu con, moi, aussi.