La logique voudrait que la richesse ouvre des portes à celui qui la détient. Cependant, dans certains cas, l’opulence va de paire avec des responsabilités pesantes. Des devoirs que l’on a pas choisi et qui peuvent peu à peu construire les bases d’une prison dorée. Là ou tout le monde voudrait être, alors que fondamentalement, elle ne laisse que bien peu de place à l’individu et à son libre arbitre.

Ce paradoxe pesait souvent sur les épaules de Mistral, prisonnier de l’héritage doux-amer que représentait l’entreprise familiale Aliz & Co’. D’un coté, il était fier de pouvoir prétendre à la direction d’un corps industriel important du Japon. Mais de l’autre… il avait toujours cette impression de n’être qu’un pion utilisé par sa propre famille. Aura t-il vraiment les épaules adaptées pour succéder à son père, quand le moment sera venu ? Rien ne lui semblait moins sûr. Il était installé à son bureau de vice-président, dans le grand bâtiment qui abritait le siège social d’Aliz’ & Co. La pièce était dans des tons blancs d'albâtre, un style très moderne mais quelque peu impersonnel. Le bureau était pour sa part d'un noir d'ébène, très sobre qui faisait ressortir le carnet personnel de Mitral, avec sa couleur bleu ciel caractéristique et ses nombreux autocollants juvéniles. Une rare touche d'excentricité dans cet environnement aseptisé, du moins sur le plan visuel. Niveau auditif, le téléphone de Mistral, posé sur un coin du bureau, jouait une petite musique guillerette aux relents de J-Pop.

Mistral ne semblait pas tenir en place. Il remuait pensivement le fond de sa tasse à café avec une cuillère. Il ne sucrait pas ses cafés, mais tendait pourtant à toujours vouloir touiller le sombre liquide, comme s’il espérait y discerner un quelconque signe susceptible de l’aiguiller au jour le jour. C’était un lundi particulier pour lui, il se leva de sa chaise et alla se poster face à la large fenêtre présente sur sa gauche. Depuis le huitième étage, il avait une belle vue sur le centre ville de Musatafu. Il était déjà bien actif en cette heure matinale, beaucoup de gens s’affairait ça et là, notamment autour du tramway qui venait juste d’arriver. Étaient-ils heureux ? Est-ce que la majorité de ces personnes était satisfaite de la sécurité apportée par les forces de l’ordre, les héros ? Et… par extension, Aliz’ & Co qui tendait à fournir pas mal de matériel à ces représentants de la loi ?

Mistral soupira, se doutant qu’avec la retraite récente d’All Might, tout le monde était nerveux. Qui sait quels malades pourraient profiter de ce départ pour propager le chaos dans le pays ? Le jeune homme retourna à son bureau, potassant les quelques papiers qu’on lui avait refilé la veille. Cette histoire de sécurité balbutiante le concernait également. Apparemment le comité d’entreprise a décidé au cours d’une de ses dernières réunions de lui refiler un chaperon. "Il est de notre devoir d’assurer la protection de la future tête pensante de l’entreprise !" qu’ils disaient.

- Pff… une tête dont ils se paient bien...

Marmonna Mistral en parcourant d'un oeil distrait le dossier qu’on lui avait recommandé. Il concernait une certaine Alice Lacroix, une personne mise en avant par des contacts précieux de l’Aliz & Co’. Bien entendu c’était assez nébuleux pour que le principal intéressé ne soit pas vraiment sûr de pourquoi cette fille était considérée comme la candidate idéale. Elle n’avait pas tant d’expérience que ça. Mais apparemment, son Alter avait tapé dans l’oeil du conseil. Même si les notes le concernant faisait plutôt arquer un sourcil au vice-président.

* Une bête d’ombre… huh ? *

Il n’était pas vraiment sûr de tout ce que cela impliquait. Dans tous les cas, il avait rendez-vous avec elle dans quelques minutes pour voir si le courant passait bien entre eux. On lui avait implicitement fait comprendre qu’il avait tout intérêt à accepter son embauche. Cette tendance à lui glisser des obligations sous-entendus l’agaçait. Il tapait nerveusement du pied, n’étant pas vraiment rassuré. Était-on vraiment sûr que cette drôle de femme cornue était fiable ? L’expression glaciale qu’elle avait sur les photos du dossier donnait froid dans le dos. Mistral se massa les tempes d’une main, vidant d’une traite son café en grimaçant avant de s’en resservir une tasse chaude depuis le thermos qu’il amenait toujours au bureau. Il se remit à touiller le liquide brûlant par réflexe, scrutant la seconde tasse en face de lui, qu’il avait exceptionnellement amenée pour cette entrevue. La dénommée Alice avait une tête à aimer le café noir. Avec un peu de chance, celui de son thermos leur permettrait d’aborder leur entretien sur une première note positive.